16.
Un peu plus d’une heure plus tard, Hudson arriva au Washington-Jefferson Hôtel. Il y occupait une chambre située tout au bout d’un couloir sinistre et déprimant, au premier étage. Cela faisait près de cinq semaines qu’il logeait dans cette chambre et il se demandait s’il ne serait pas indiqué de changer d’adresse.
Mais le secteur nord de Times Square était un endroit parfait pour passer inaperçu, et extrêmement pratique pour le travail qu’il lui restait à exécuter.
Hudson resta assis sur le bord de son lit pendant un petit moment. Ses pensées revenaient inlassablement à Laurence Hadford, mais il savait qu’il ne pouvait pas se permettre de s’attarder plus longtemps sur le problème.
Il décrocha le téléphone et composa un numéro à Manhattan.
— Vintage, bonjour.
— Oui, ici David… Mon numéro est le 323. (Hudson parlait de sa voix habituelle, douce mais ferme.) Je peux vous décrire précisément le genre d’hôtesse que je recherche. Elle fait entre un mètre soixante-huit et un mètre soixante-dix-huit. Elle a entre dix-neuf et vingt-six ans. Je règle en liquide.
Hudson patienta puis on lui communiqua une heure et un nom pour son « rendez-vous ».
— Très bien… Dans trente minutes, si possible, au 343, 51e Rue Ouest… Merci. J’y attendrai donc… Billie.
Tout en remontant le couloir mal éclairé du premier étage, Billie éteignit son bip Vintage. Il serait de mauvais goût de recevoir un message au beau milieu d’une séance.
Mais le Washington-Jefferson, tout de même ? Elle frissonna involontairement.
Billie frappa doucement à la porte de la chambre. Celle-ci s’ouvrit en grand, presque instantanément. Elle fut surprise : il était beau, en fait. Il avait un sourire franc et charmant. Il était grand, mince et… Ah ! Elle voyait où était le hic ! La manche gauche de sa chemise flottait dans le vide…
Pourtant, Billie n’éprouva pas vraiment de pitié pour l’homme sur le seuil de la chambre d’hôtel. Il n’y avait rien en lui qui inspirait de la compassion. Il était incontestablement séduisant et son handicap ne le gênait manifestement pas ; il ne semblait pas du tout complexé.
— Bonjour, je suis Billie. (Elle lui adressa un sourire poli.) Vous êtes David ?
Le colonel Hudson l’observa pendant quelques secondes avant de lui répondre. Elle avait une abondante chevelure blond cendré avec de grosses boucles souples. Grande et élancée. De longues jambes. Des seins fermes sous un corsage en soie. Elle portait une jupe droite qui mettait sa silhouette en valeur, des bas sombres et des chaussures à talons brillantes.
— Veuillez m’excuser, finit-il par dire en souriant. Je vous dévisageais, n’est-ce pas ? Entrez. Je ne m’attendais pas à une jeune femme aussi belle…
Billie sourit – comme si elle n’avait jamais entendu cela dans le passé. Elle s’empourpra très légèrement au niveau des pommettes et le rouge descendit le long de son cou jusqu’au petit creux de sa gorge.
— Je suis désolé. Je n’ai pas fait attention. C’est Billie comment ? Votre nom de famille ?
— Juste Billie.
Elle le gratifia d’un autre sourire.
Hudson montra sa chambre d’hôtel Spartiate d’un grand geste.
— Je sais, ce n’est pas vraiment le Plaza.
Pour une raison qu’elle ignorait, Billie se surprit à se détendre graduellement en sa compagnie. Cet homme était d’un abord facile et avait l’air raisonnablement intelligent.
La jeune femme s’assit sur le bord du lit.
Très langoureusement, elle défit le premier bouton de son chemisier, puis le deuxième.
— Vous venez vous asseoir à côté de moi ?
Il s’exécuta et elle l’embrassa délicatement sur la joue. Son parfum emplit voluptueusement les narines de David Hudson.
— Vous avez dit que j’étais belle. J’aimerais vous retourner le compliment : vous êtes très beau.
Billie glissa doucement les mains à l’intérieur de la chemise de Hudson. Elle en détacha les deux boutons du milieu.
Elle le caressa avec douceur et chaleur. Il se passa soudain une chose extraordinaire. Une chose inhabituelle : Hudson se mit à éprouver quelque chose.
Une sonnette d’alarme retentit au plus profond de lui-même. Il l’ignora. Mais quelque chose n’allait pas.
Elle était si naturelle et si détendue avec lui.
Ses caresses étaient si subtiles.
Elle le massait tout en se déshabillant.
Le corsage en soie glissa doucement. Puis la jupe noire.
Elle se tint debout devant lui – en porte-jarretelles, bas sombres et talons hauts.
Il eut l’impression de s’enfoncer dans le matelas.
La sonnette d’alarme tinta de nouveau au fond de lui. Il n’en tint pas compte.
Il s’immobilisa et la regarda respirer. Elle était si invraisemblablement belle ; elle sourit lorsqu’elle se rendit compte de ce qu’il faisait.
— Vous êtes vraiment belle.
Ses seins gonflaient. Hudson les flatta doucement, explorant leur rondeur, titillant chaque aréole rose.
Elle s’assit lascivement sur lui et ses cheveux blonds resplendirent dans la lumière de la lampe au-dessus de leurs têtes. Elle se balançait d’avant en arrière, dans un paisible mouvement de va-et-vient. Tout paraissait si naturel. Telle une sirène s’estompant au loin, les signaux d’alerte se turent dans la tête de David Hudson.
Il respirait de plus en plus vite.
Elle ferma les yeux, les ouvrit puis les referma.
De plus en plus vite, de plus en plus vite.
Il coula sa main entre ses cuisses et la caressa pendant que, semblable à la crête d’une vague, elle ondulait lentement au-dessus de lui. Il l’excitait avec les doigts tandis qu’elle se mouvait à son propre rythme.
Alors la jeune femme se raidit et elle s’abattit sur le torse de Hudson. Puis elle se cambra et retomba brusquement de nouveau en avant. Son corps donnait l’impression d’être parcouru par des courants électriques.
Il était presque sûr que…
Oui. Elle jouissait, son corps vibrait.
Cette onéreuse escort-girl qui travaillait pour Vintage. Cette splendide prostituée. Elle avait un orgasme avec lui. Billie. Juste Billie.
Les alarmes mugissaient comme des sirènes de police sous son crâne. Cette fois-ci, il les écouta. Il ne jouit pas. Il ne jouissait jamais.